Ceux qui m’aiment prendront le train
Le train est le symbole de Bombay et c’est le moyen de transport incontournable. Sale, vieux, inconfortable, toujours bondé, c’est une véritable épreuve pour les 7 millions de passagers qui le prennent chaque jour.
A Bombay, le train est un poème expressionniste, dur et méchant, rêche et violent. Les gares rassemblent tout le monde, aussi bien une classe moyenne aisée que des gens d’une misère insoutenable. Les gares sont le vecteur de l’Inde du bas, là où vous êtes sûrs de trouver ceux que vous ne cherchez pas toujours : des bientôt riches, des déjà pauvres, des estropiés et des mendiants, beaucoup de jeunes en groupe, quelques femmes seules, et des milliers de personnes portant exactement la même chemise, avec le même air fatigué et la même sacoche abîmée par des heures, des jours, des semaines entières passées dans les trains moites de cette fourmilière urbaine.
Dans le train, la deuxième classe est miteuse, la première l’est tout autant mais ça importe peu. Quand les uns ont des smartphones neufs, les autres ont des fausses bagues en diamant. A chacun son luxe. Ces gens passent facilement trois à quatre heures par jour dans les transports, c’est comme leur seconde maison. Certains se connaissent, d’autres se dévisagent, la plupart s’en foutent. C’est la vie.
Les portes sont ouvertes, chacun peut avoir les cheveux au vent. Riches comme pauvres.
Les cheveux gras sont étrangement moins sensibles à l’air fouettant.
Le train de Bombay est un des plus meurtriers au monde ; chaque année, plus de 600 personnes meurent, soit écrasées sur les rails, soit en chutant des trains qui sont trop vieux et trop bondés, soit électrocutés par les lignes à haute tension.
Et encore, ce chiffre est en nette amélioration par rapport aux années précédentes, surtout depuis que la ville a formellement interdit aux gens de voyager sur les toits des wagons …
Dans cette ville, la question du train est – sans rire – un traumatisme. Les gens sont obligés de devenir chaque jour pendant deux, trois voire quatre heures, des animaux qui luttent pour leur confort, pour leur santé ou pour leur survie.
Imaginez-vous, tous les matins et tous les soirs, devoir grimper dans un train dans lequel une foule en furie se compresse, et vous retrouver dans un endroit vaguement aéré avec une moyenne de 16 personnes par m², toutes aussi désespérées que vous.
Imaginez-vous subir la chaleur, l’odeur, et la promiscuité extrême dans un tombeau roulant qui semble vous emmener tout droit vers les profondeurs de l’enfer.
Imaginez-vous vous transformer deux fois par jour en bête furieuse qui rue, qui tape, qui hurle pour avoir une toute petite place assise, gage de tranquillité et de paix (toutes relatives).
Ce train Mumbaikar a quelque chose de fou, d’absurde et de grandiose. C’est presque romantique quand on en parle. Mais quand vous êtes à l’intérieur, je vous assure que l’haleine fétide et le cul collant de vos compagnons de voyage vous enlève toute envie de laisser voguer votre esprit vers des rivages poétiques.
Ca aussi, c’est Bombay.
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