Arnould Bazire

Vendeurs de rue, pots-de-vin et siestes crapuleuses

vendeurs de rue

La nourriture de rue est un des symboles de Bombay. Et pourtant, les vendeurs sont accusés de tous les maux et sont constamment l’objet d’amendes et de poursuites alors qu’ils sont une composante importante de la vie sociale de la ville.

 

Pour beaucoup d’Indiens mais aussi d’étrangers, Bombay est synonyme de street-food. La bouffe de rue réunit tout le monde : les riches comme les pauvres, les familles le week-end, aussi bien que les travailleurs pour leur pause déjeuner.

Le vada pav est le roi de Bombay. Il s’agit en substance d’un burger à la pomme de terre ; c’est bon, c’est gros, c’est gras, tout le monde aime ça. Après viennent les Panipuri (sortes de boules frites creuses qu’on mange après les avoir rempli d’un liquide parfumé – dur à expliquer), les Sevpuri (patates, chutney, oignons : que du bon) ou encore les Bhelpuri (riz soufflé).

Bref, y a le choix, c’est bon, très nourrissant, et manger dans la rue vous donnera automatiquement l’impression d’être un Mumbaikar, un vrai de vrai, surtout si vous vous en mettez plein sur le t-shirt et que vous décidez de faire une petite sieste impromptue juste après (quelques photos de sieste de rues crapuleuses).

 

En bas de chez moi, j’ai justement un de ces vendeurs dont je suis un client régulier. Il fait partie des 250 000 vendeurs de rue de Bombay, et comme la plupart, il galère pas mal.

A Bombay, on peut tout acheter dans la rue : nourriture, drogue, portables, ustensiles, vêtements… Ce que vous cherchez, vous aurez de fortes chances de le trouver dans la rue.

En mai dernier est passée une loi qui donne plus de droits et qui réglemente de manière assez flexible le statut et l’activité de ces vendeurs de rue. En effet, avant ça, seuls 15 000 des 250 000 vendeurs avaient une licence leur permettant d’exercer légalement. Les autres devaient payer des pots-de-vin aux flics du coin pour qui c’était une grosse source de revenu (chaque année, le total de ces pots-de-vin atteint plusieurs dizaines de millions d’euros).

Vendeurs de rue, elco market

 

Ces « street hawkers » ne sont pas forcément très bien vu par la population Mumbaikare. En effet, beaucoup d’entre eux sont des immigrés venant d’autres parties de l’Inde et qui dit immigré, dit tous les clichés intemporels sur les immigrés : ils sont sales, ils font du bruit (le fameux « bruit et odeur » est universel, c’est rassurant), ils sont voleurs, ils parlent mal Hindi/Marathi, et ils sont les principaux responsables de l’état actuel de délabrement de la ville de Bombay.

Mais, en vrai, Bombay n’a pas besoin d’eux pour être dans l’état dans lequel elle est…

 

Après une énième descente de police, Ram Babu, un vendeur affilié à un « syndicat de vendeurs  raconte : « Si les flics nous attrapent, on doit payer une amende de 1 250 roupies [16 € pour un européen, mais une somme énorme pour ces vendeurs]. Beaucoup d’entre nous ne peuvent pas se le permettre ».

Rajiv Gupta, un autre vendeur, ajoute : « Mon père avait un stand de fruits avant moi. Ça fait deux décennies que je travaille dans cette rue. Je ne sais pas si aujourd’hui sera un jour rentable, car je suis obligé de me cacher et d’attendre que la police parte pour reprendre mon business. On ne vole personne ! Pourquoi le gouvernement nous traite-t-il de cette manière ? »

 

C’est typique de Bombay, ainsi que de ses paradoxes : plutôt que d’essayer de réglementer et/ou de contrôler ce type de business qui, de toute manière, perdurera quoi qu’il arrive, les gouvernements successifs ont préféré s’attaquer sans réfléchir à tous ces vendeurs, permettant au passage aux flics de s’en mettre pleins les fouilles, ce qui a accentué la situation de misère dans laquelle ces gens, qui ne sont là que pour travailler, sont déjà plongés.

 

(SOURCE)


Femmes, enfants, pandas : l’Inde ne sait pas quoi faire de ses habitants

Flick/CC/Alan Wolf - Cgiarclimate - Itf
Flick/CC/Alan Wolf – Cgiarclimate – Itf

En Inde, les mesures prises pour gérer la surpopulation ou pour contrôler les naissances peuvent mener à des situations tragiques ou absurdes, surtout pour les femmes.

 

L’Inde explose démographiquement. Tous ses bébés vont lui trouer le ventre et déverser ses entrailles sur toute l’Asie du Sud. Pendant que les Chinois ont pris conscience de la nécessité de contrôler leur démographie (merci la dictature), les Indiens aujourd’hui sont super fiers de leur 1, 2 milliard d’habitants et de leur place programmée de n°1 mondial d’ici une quinzaine d’années.

Mais comment un pays qui est incapable de nourrir 40 % de sa population peut se réjouir de voir sa population augmenter de près de 20 millions de personnes chaque année ?

Le gouvernement n’est pas complètement inconscient de ce problème, c’est pourquoi quelques efforts de prévention ont été effectués, notamment par la mise en place de centres d’informations sur la contraception, d’une efficacité plus que variable et avec des résultats assez anarchiques.

 

Aujourd’hui, dans certains états de l’Inde, il y a entre 850 et 900 filles qui naissent pour 1 000 garçons. Même si le diagnostic prénatal (servant à déterminer le sexe de l’enfant) est interdit, de nombreuses familles y ont recours illégalement. Si c’est une fille, il risque d’y avoir avortement. En effet, les garçons sont considérés comme des soutiens forts pour la famille, alors que les filles sont uniquement des créatures inutiles dont il faut payer la dot.

Un proverbe indien dit d’ailleurs « élever une fille, c’est comme arroser le jardin d’un voisin ».

Le problème, c’est que dans quelques années, quelques millions de mâles en rut risquent d’aller dans le jardin du voisin pour voir s’il n’y a pas une jolie fille disponible qu’ils pourront prendre, de gré ou de force…

 

Récemment, un fait divers a secoué le Chhattisgarh, Etat du centre de l’Inde, à propos d’une stérilisation de masse ratée qui a conduit à la mort de 11 femmes et à l’hospitalisation d’une soixantaine d’autres. Ces stérilisations ne sont pas forcées, mais l’argent ou les cadeaux offerts ont tellement de valeur pour ces femmes, la plupart du temps très pauvres et/ou obéissant à leur famille, qu’il est très dur pour elle de refuser. Selon cet article de RFI, chaque année, environ 1 million de femmes subissent ce genre d’opération qui en plus, est exécutée dans des conditions d’hygiène déplorables.

femmes, naissances et préservatifs« Nous ne sommes pas des pandas »

 

Enfin, à Bombay, c’est le contraire qui se passe avec la petite communauté parsie. Les parsis sont une communauté religieuse qui a émigré de Perse au Xe siècle. Aujourd’hui, cette communauté est en danger à cause de sa faible natalité, du fait que la plupart des membres sont des vieux schnocks et qu’ils ne sont plus que 70 000 dans le pays.

Alors, le ministère des Minorités (comme dans les meilleurs films de science-fiction), s’est empressé de faire ce qu’il pouvait pour aider nos amis les parsis en finançant une grande opération pour sauver la communauté en incitant les membres à avoir un enfant, puis deux, puis plus… Les pubs qui ont été créées pour l’occasion disent que c’est cool pour les femmes d’avoir des enfants, que c’est super viril pour les hommes d’avoir la responsabilité d’une famille, qu’il faut baiser sans capote et que plus il y a de gosses, mieux c’est.

Ce qui a conduit certains membres de la communauté à affirmer, non sans humour : « Nous ne sommes pas des pandas ».

 Les problèmes ne sont pas les mêmes pour tout le monde, certains sont tragiques, d’autres plus triviaux, mais ce qui est sûr, c’est que les tentatives pour maîtriser les naissances mènent à des dérives humaines et morales qui peuvent être traumatisantes pour certaines communautés.

Et même si le dernier exemple peut nous faire marrer, c’est quand même un peu dérangeant de se dire que la vie sexuelle d’une communauté est observée, commentée et jugée de cette manière…


The water mafia : petites combines pour un verre d’eau

Water mafia, fuite d'eau
Flickr/CC/ BMW Guggenheim Lab

A Bombay, il y a des mafias à tous les coins de rue. La mafia de l’eau est l’une d’entre elles, mais ici, pas de poursuite en voiture, d’orgies alcoolisées, ou de règlements de compte sanglants, non, juste des hommes et des femmes qui veulent simplement boire quelques litres d’eau chaque jour.

 

L’eau est le « pétrole du XXIe » siècle, c’est ce qu’on entend parfois et les spéculations quant à la montée du prix de l’eau vont bon train. L’eau se raréfie, il faut donc mieux la gérer.

Et évidemment, ici, à Bombay, il n’y a pas assez d’eau. Et le pire c’est que ce n’est pas dû à une pénurie ou aux sécheresses, mais à des problèmes structurels, économiques et administratifs.

 

Il y a entre 13 et 15 millions d’habitants à Bombay aujourd’hui. La municipalité fournit environ 3 900 millions de litres par jour, alors que le besoin est estimé à 4 500 millions de litres. Il y a donc 600 millions de litres d’eau manquants chaque jour. De plus, les fuites d’eau dans les tuyaux, les petits larcins ainsi que les vols à la source représentent un manque d’environ 25 %. Soit entre 900 et 1 000 millions de litres.

Ce qui nous fait un manque total d’environ un tiers des besoins en eau de la ville.

Sans compter le fait que beaucoup de parties de la ville ne sont pas raccordées à l’eau, notamment dans les bidonvilles : c’est ce déséquilibre qui entraîne des abus.

 

Parmi ces abus, il y a le simple vol d’eau, souvent au moyen de « water pumps », robinets qui permettent de se servir directement aux tuyaux, ou encore le développement d’un marché spéculatif sur l’eau dans les quartiers pauvres, permettant aux habitants légalement raccordés de vendre leur eau à ceux qui ne le sont pas. La « water mafia » c’est ça.

Autant dire que ce n’est pas Al Capone et ses hommes de main, c’est juste l’histoire banale de gens qui veulent boire de l’eau, qui n’en ont pas dans leur robinet et qui cherchent donc un moyen d’en obtenir.

Mais c’est cette « water mafia » que le gouvernement veut sanctionner très lourdement.

 

Water mafia, tuyau d'eau
Flickr/CC/ Meena Kadri

 

Et pourtant, ce type de situation est évitable : par exemple, si tout le monde était raccordé à l’eau gratuitement, et si les prix de l’eau étaient représentatifs du niveau de vie des quartiers raccordés, il n’y aurait pas de business parallèle et le gouvernement gagnerait sans doute plus d’argent qu’aujourd’hui.

Comme l’explique cette étude, des opérations policières ont ainsi été lancées contre ces voleurs d’eau, qui ont été immédiatement remplacés par des sociétés privées de vente d’eau, tout à fait légales, mais qui finalement faisaient la même chose, voire pire que les autres : vendre de l’eau d’une qualité plus que douteuse à un prix élevé.

 La conclusion de tout ça, c’est que les gens pauvres ont droit à moins d’eau que les gens riches (45 litres par jour et par tête, contre 145), mais qu’en plus, ils se retrouvent à payer parfois plus cher que le reste de la ville.

 

C’est souvent le même problème: la criminalité en col blanc est pire que la petite criminalité. L’une veut s’enrichir alors que, souvent, l’autre veut juste survivre.


Bombay et ses masala rats

mumbai rat killer - onlybombay.blogspot

A Bombay, le rat est un animal libre. Il se balade partout, il se nourrit de n’importe quoi et se reproduit à une vitesse infernale. Les rats sont tellement nombreux que, s’ils le voulaient, il pourrait prendre le pouvoir de la ville demain. Récit d’une menace poilue aux dents longues.

 

Récemment, dans les pages de nombreux quotidiens indiens, un fait divers a été relayé de manière catastrophiste. Dans un avion Calcutta-Delhi, un certain nombre de petits rongeurs aux dents très longues ont été trouvés, ce qui a du nécessiter une immobilisation et un traitement immédiat de l’avion. Il n’y rien de surprenant à ce qu’il y ait des rats dans les avions : les convois de bouffe s’acheminant vers ceux-ci font un transport parfait pour les petites bêtes qui aiment à se délecter de ce qui se fait de mieux en matière de nourriture en boîte ; c’est la raison pour laquelle les rats ne sont pas uniquement attirés par les avions indiens mais par les avions du monde entier. Le principal risque est évidemment que les rongeurs poilus se mettent à se nourrir de fils électriques, ce qui peut poser de sérieux problèmes à un avion en vol.

Le détail effrayant de cette affaire est que ce ne sont pas un ou deux rats qui ont été découverts, mais toute une nuée. Et quand on voit la taille des rats à Bombay par exemple, ce n’est pas vraiment rassurant.

 

Soyons tout de suite clairs, Bombay est une ville infestée de rats. Et ils ne se cachent pas, hein ! Ils se baladent à la vue de tous, avec leur gros ventre rempli de masala et d’épices, leurs poils sales et leur grosse queue cerclée. Certains sont tellement gros que vous pouvez les confondre avec des petits chats, c’est assez effrayant.

 

Actuellement, à Bombay, la municipalité emploie 31 « night rat killers » pour s’occuper de toute la ville. Étant donné que selon certaines estimations, il y a 88 millions de rats à Bombay (!!!), on peut dire que le combat n’est pas gagné. Ces types sont armés d’un bâton et pour gagner les 5000 roupies (environ 60 euros) que leur promet la municipalité chaque mois, ils doivent tuer au moins 30 rats chaque nuit.

 

rat mignon

 

Mais pourquoi la municipalité ne veut pas mettre du poison et qu’on en finisse ?

Parce que vue la densité énorme qui existe dans certaines zones résidentielles et considérant la quantité de gens qui dorment dans la rue, ce serait beaucoup trop dangereux. Sans compter que trois à quatre mois par an, la mousson emporterait toute la mort-au-rat sur son passage. La solution « bastonnade de rats » leur a donc semblé la plus appropriée.

En moyenne 150 000 rats sont tués chaque année. C’est bien, mais il en faudrait 100 fois plus pour pouvoir commencer à endiguer le problème.

Cette présence massive pose de nombreux problèmes : détérioration des connections électriques ainsi que des fondations des bâtiments, saleté, maladies… Et ce n’est pas près de s’arrêter, le rat étant une créature du démon, très intelligente, adaptable, et résistante.

Imaginez 88 millions de rats pour une quinzaine de millions d’habitants, ça fait 6 rats pour un habitant. Les rats se reproduisant très vite, la situation – qui est déjà catastrophique – risque de devenir désespérée en tout point, surtout si une épidémie transmise par les bêtes aux longues dents apparaît et se développent.

 

Ce problème, même s’il est particulièrement amplifié à Bombay, ne concerne pas uniquement l’Inde. En effet, dans le monde entier, dans les grandes villes modernes comme dans les campagnes reculées, les rats se développent à une vitesse effrayante et représentent une menace contre laquelle il est probable qu’il faille lutter sérieusement très prochainement.

 

Mais tout le monde n’est pas de cet avis : la société protectrice des animaux de Bombay, sans doute composée de gens responsables et intelligents, souhaite la fin de toutes les mesures visant à tuer les rats.

 

NB : Un documentaire sur la question :

https://www.theratrace.co.in/


Ceux qui m’aiment prendront le train

Flickr/CC/ Satish Krishnamurthy
Flickr/CC/ Satish Krishnamurthy

Le train est le symbole de Bombay et c’est le moyen de transport incontournable. Sale, vieux, inconfortable, toujours bondé, c’est une véritable épreuve pour les 7 millions de passagers qui le prennent chaque jour.

 

A Bombay, le train est un poème expressionniste, dur et méchant, rêche et violent. Les gares rassemblent tout le monde, aussi bien une classe moyenne aisée que des gens d’une misère insoutenable. Les gares sont le vecteur de l’Inde du bas, là où vous êtes sûrs de trouver ceux que vous ne cherchez pas toujours : des bientôt riches, des déjà pauvres, des estropiés et des mendiants, beaucoup de jeunes en groupe, quelques femmes seules, et des milliers de personnes portant exactement la même chemise, avec le même air fatigué et la même sacoche abîmée par des heures, des jours, des semaines entières passées dans les trains moites de cette fourmilière urbaine.

 

Dans le train, la deuxième classe est miteuse, la première l’est tout autant mais ça importe peu. Quand les uns ont des smartphones neufs, les autres ont des fausses bagues en diamant. A chacun son luxe. Ces gens passent facilement trois à quatre heures par jour dans les transports, c’est comme leur seconde maison. Certains se connaissent, d’autres se dévisagent, la plupart s’en foutent. C’est la vie.

Les portes sont ouvertes, chacun peut avoir les cheveux au vent. Riches comme pauvres.

Les cheveux gras sont étrangement moins sensibles à l’air fouettant.

 

Le train de Bombay est un des plus meurtriers au monde ; chaque année, plus de 600 personnes meurent, soit écrasées sur les rails, soit en chutant des trains qui sont trop vieux et trop bondés, soit électrocutés par les lignes à haute tension.

Et encore, ce chiffre est en nette amélioration par rapport aux années précédentes, surtout depuis que la ville a formellement interdit aux gens de voyager sur les toits des wagons …

Flickr/CC/Ryan
Flickr/CC/Ryan

 

Dans cette ville, la question du train est – sans rire – un traumatisme. Les gens sont obligés de devenir chaque jour pendant deux, trois voire quatre heures, des animaux qui luttent pour leur confort, pour leur santé ou pour leur survie.

Imaginez-vous, tous les matins et tous les soirs, devoir grimper dans un train dans lequel une foule en furie se compresse, et vous retrouver dans un endroit vaguement aéré avec une moyenne de 16 personnes par m², toutes aussi désespérées que vous.

Imaginez-vous subir la chaleur, l’odeur, et la promiscuité extrême dans un tombeau roulant qui semble vous emmener tout droit vers les profondeurs de l’enfer.

Imaginez-vous vous transformer deux fois par jour en bête furieuse qui rue, qui tape, qui hurle pour avoir une toute petite place assise, gage de tranquillité et de paix (toutes relatives).

 

Ce train Mumbaikar a quelque chose de fou, d’absurde et de grandiose. C’est presque romantique quand on en parle. Mais quand vous êtes à l’intérieur, je vous assure que l’haleine fétide et le cul collant de vos compagnons de voyage vous enlève toute envie de laisser voguer votre esprit vers des rivages poétiques.

 

Ca aussi, c’est Bombay.

 


Le poorism, un tourisme sans complexes

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Bombay n’est pas une ville vraiment réputée pour sa richesse culturelle et pour la beauté de ses monuments. Il y a des choses à voir dans cette ville, je ne dis pas le contraire, mais quand on compare aux merveilles qu’on peut trouver dans d’autres parties de l’Inde, ça ne vaut pas la peine de s’attarder ici.

 

Bombay est une ville qui s’explore, qui se fouille, qui se vit. Pas une ville qui se visite en trois jours.

Ce n’est pas une v(f)ille facile qui se dévoile dans ses monuments ou dans ses attractions touristiques. La Gateway of India s’apprécie en un simple coup d’oeil, l’hôtel Taj est un foutu centre commercial pour riches étrangers assommés par le mal du pays, la Victoria Station est un poème baroque mais uniquement à l’extérieur, les musées ne sont pas inoubliables et même la maison de ce pauvre Rudyard Kipling tombe en ruine alors que dans n’importe quelle ville du monde, un petit malin en aurait fait une attraction colorée, avec t-shirts, mugs et caleçons à l’effigie de Mowgli, Baloo et leurs copains poilus.

 

L’intérêt de Bombay, c’est Bombay : ses gens, sa vie, ses multitudes de cultures qui se retrouvent sur cette péninsule étroite dans l’espoir de faire un peu de pognon, son économie souterraine, son dynamisme entrepreneurial, ses rickshaws et ses slums.

 


En ce moment, beaucoup d’articles s’attardent sur le concept de slum tourism. Partout à travers le monde, des « tours opérators » (voir le
lien) se chargent de la visite des slums de Bombay ou des favelas de Rio. L’image de ces lieux est gravée dans l’imaginaire collectif, notamment grâce à des films comme Slumdog Millionaire ou La cité de Dieu.

Les touristes veulent voir ce qu’il s’y passe, pour notamment être sûr de ne pas manquer ce qui constitue une grosse partie de ces villes.

Alors, est-ce du tourisme responsable ou du voyeurisme décomplexé ?

Certains disent que ça banalise la pauvreté, pire, que celle-ci se transforme en loisir éphémère pour des touristes en recherche d’une bonne conscience tout en étant finalement inconscients de la situation. D’autres mettent en avant une cohabitation nécessaire de deux mondes trop séparés, basée sur le respect entre les personnes et la participation économique et morale des ONG organisant ces visites. Comme une sorte de création de lien social entre deux mondes diamétralement opposés.

 

Mais ce qui frappe vraiment, c’est cette constatation que TOUT est tourisme aujourd’hui, et que n’importe quoi pourrait le devenir. Les monuments, les lieux, les hommes, mais aussi les choses immatérielles comme les techniques artisanales ou la cuisine : tout se visite, tout s’explore, tout se scrute, s’observe, tout se photographie, tout se vend.

Appelez ça tourisme écolo, tourisme responsable, tourisme gastronomique, tourisme sexuel, tourisme d’aventure : c’est la même chose, c’est la volonté de personnes de découvrir un environnement différent de celui dans lequel ils vivent habituellement.

Cette vision basique du tourisme est plutôt positive, ce sont les dérives (commerciales, discriminatoires et culturelles) qui ne le sont pas.

Il ne s’agit donc pas de s’offusquer de cet autre type de tourisme, mais plutôt de réfléchir à notre rapport aux autres cultures et à notre vision du monde trop souvent réduit à un vaste studio photo.

 

Deux articles sur le « poorism »:

https://www.nytimes.com/2008/03/09/travel/09heads.html?_r=0

https://thecelebritycafe.com/feature/2014/02/slum-tours-should-we-let-them-continue

 

NB : à Bombay, les slum tours n’intéressent que les touristes occidentaux, très peu d’Indiens de la classe moyenne auraient l’idée de mettre les pieds dans un bidonville, et encore moins de payer pour ça.


Des chiffres et des lettres

Shivaji Nagar

Bombay et son agglomération comptent aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants. Le dernier recensement officiel remonte à 2011, mais il est très difficile d’avoir des chiffres exacts, en raison notamment de l’afflux constant de nouveaux, environ 13 millions d’habitants pour une surface de 603,4 km², ce qui fait une densité d’environ 21 500 hab/km².

C’est une densité élevée, mais à titre de comparaison, elle est à peu près équivalente à la densité de Paris intra-muros et bien inférieure à la densité de l’île de Manhattan à New York.

Rien d’exceptionnel donc, en comparaison d’autres grandes villes du monde.

Cependant, le problème se situe sur un autre plan : 62 % des habitants de Bombay vivent dans des bidonvilles ou des quartiers informels. Ce qui fait environ 8 millions de personnes. Ce chiffre est déjà énorme mais ce qui est gênant, c’est de savoir que ces 8 millions de personnes vivent sur seulement 15 % du territoire de la ville. Soit environ 90 km².

Imaginez 8 millions de personnes s’entassant sur un terrain de 90 km².

Ou alors une population de 89000 habitants par km².

Ou encore une ville de la dimension de Paris, mais avec 4 fois plus d’habitants.

C’est un entassement d’êtres humains tellement énorme qu’on a du mal à y croire.

Et ce n’est pas tout ! Dharavi, le plus grand bidonville d’Inde, situé au centre de Mumbai a une envergure de très précisément 2,39 km² et une population comptant entre 700 000 et 1 million d’habitants. Ce qui équivaut à une densité comprise entre 293000 hab/km² et 418000 hab/km² !

C’est gigantesque.

Pour reprendre un exemple bien français, c’est comme si on prenait la population de Marseille et qu’on la déposait sur le rocher de Monaco. «Ça ferait sans doute plus de supporters au stade Louis II, mais Albert ne serait pas très content.

Voilà pour les chiffres. Ils nous permettent de comprendre pourquoi Bombay est ce qu’elle est aujourd’hui. Le bruit, le monde, la saleté, la pollution mais aussi l’énergie, la folie et l’esprit d’initiative sont autant de caractéristiques qui découlent directement ou indirectement de la densité gigantesque de certains quartiers de cette ville.

NB : Il faut aussi prendre en compte la marge d’erreur comprise entre 5 et 10% pour ces chiffres car ils reposent sur le dernier recensement datant de 2011 – qui lui-même ne devait pas être très précis et essaient de prendre en compte l’afflux constant d’habitants chaque année (entre 100 et 300 familles s’installent à Mumbai chaque année) ainsi que différentes sources précisant que les chiffres du recensement sont probablement en dessous de la réalité.